Sa mère et son frère voulaient faire sans lui
Tout associé détenant la nue-propriété de parts sociales d’une société civile a qualité à agir en désignation d’un administrateur provisoire pour convoquer une assemblée générale. Une mesure utile pour celui qui se considère davantage évité qu’invité.
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L’histoire
La vie en société n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Fernand et Patricia avaient constitué une société civile d’exploitation agricole (SCEA), dont ils étaient les cogérants, en vue de la mise en valeur d’un beau domaine situé au cœur du Périgord. Au décès de Fernand, ses deux enfants, Marc et Éric, avaient reçu la nue-propriété indivise de ses parts sociales, tandis que leur mère, Patricia, en avait reçu l’usufruit. Au cours d’une assemblée générale, dont Éric n’avait pas été informé, Marc avait été désigné en qualité de gérant unique de la SCEA.
Le contentieux
Contestant les conditions dans laquelle cette assemblée générale s’était tenue, de manière confidentielle, entre Marc et leur mère, Éric les avaient assignés, ainsi que la SCEA, devant le tribunal de grande instance pour désigner un administrateur provisoire avec mission de convoquer une assemblée générale afin de nommer un nouveau gérant et d’examiner les comptes. De plus, il considérait avoir le droit en sa faveur. Selon l’article 1844 du code civil, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Et lorsque les parts sociales sont grevées d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire.
Éric n’avait pas non plus manqué d’invoquer l’article 815-6 du même code. Pour lui, le président du tribunal de grande instance pouvait ainsi prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun. Or, il y avait urgence selon Éric, il avait été tenu à l’écart de la gestion de la société et n’avait pas été informé de la décision du gérant de résilier un bail.
Mais pour Marc, la demande de son frère était irrecevable car elle se heurtait à un principe posé en matière d’indivision. Les personnes qui sont indivisaires de parts sociales possèdent des droits liés à leur qualité d’associé. Ils peuvent les exercer mais à la condition qu’ils n’entravent pas les droits des autres indivisaires. Aussi, la demande de désignation d’un administrateur provisoire, qui conduit à dessaisir le gérant de ses pouvoirs, est une mesure grave qui ne peut être présentée par un seul des indivisaires, associé minoritaire.
Mais ni le tribunal de grande instance ni la cour d’appel n’avaient été sensibles à l’argumentation de Marc et avaient écarté la fin de non-recevoir. Éric, qui était nu-propriétaire indivis de droits sociaux, avait bien la qualité d’associé de la SCEA à ce titre, il était recevable à agir en désignation d’un administrateur provisoire en vue de convoquer une assemblée générale afin de désigner un nouveau gérant. Saisie d’un pourvoi par Marc et la SCEA, la Cour de cassation n’a pu qu’approuver cette solution frappée au coin de l’orthodoxie juridique !
L’épilogue
La désignation, par le juge, d’un administrateur en vue de parer aux difficultés d’une société ou d’une indivision est au nombre des mesures urgentes qui peuvent être prescrites dans l’intérêt commun des indivisaires et des associés. Par conséquent, en l’espèce, il est permis de penser que la mesure sollicitée et obtenue par Éric permettra aux associés de retrouver l’affectio societatis, c’est-à-dire leur volonté de s’associer qui, au fil du temps, s’était délitée.
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